lundi 16 mai 2016

Le travail d’imprégnation “Imprinting training” – bon ou mauvais ?




Introduction
Quand il s’agit de poulain, plusieurs techniques sont utilisées, aimées ou détestées… L’éventail des méthodes utilisées est grand et la créativité bat son plein. Cette créativité peut parfois être utilisée pour le meilleur, mais aussi pour le pire. Il y a une grande préoccupation parmi les scientifiques et les comportementalistes équins à propos de la nécessité et de l’aspect éthique de nouvelles méthodes appelé « imprinting training », qu’on pourrait traduite par entrainement imprégnatoire ou travail d’imprégnation. Ce type d’entrainement gagne en popularité parmi les gens de chevaux et est rencontré de plus en plus souvent. La technique la plus populaire est celle de « Miller imprinting method », on retrouve plusieurs références à propos de cette méthode dans les revues scientifiques et c’est également celle qui est le plus souvent utilisée dans les écuries. Certains éleveurs pratiquent l’imprégnation, parfois sans vraiment le savoir, simplement en étant autour du poulain à sa naissance (en assistant la mère ou en vérifiant son état de santé par exemple). Ces deux facettes de l’imprégnation seront révisées dans ce papier. Il y a une tonne de croyances différentes quant a la véracité de faire de l’imprégnation ou pas, alors les scientifiques et les comportementalistes ont commencé à faire des recherches afin de savoir si ces techniques créaient vraiment de « meilleurs chevaux adultes » et surtout si cela améliore vraiment le bien-être du poulain comme promis par ces entraineurs.



Qu’est-ce que l’imprégnation ?
L’imprégnation est une période critique dans la vie de plusieurs animaux naissants, les poulains en font partie. Cette période se produit juste après la naissance, chez le poulain, on croit qu’elle se produirait pendant ses 48 premières heures de vie (McGreevy, 2012). Pendant cette période, le poulain est programmé, de façon innée, pour suivre le mouvement autour de lui (Miller, 2001).  C’est un instinct de survie, qui fait en sorte que le poulain va s’attacher à sa mère dès la naissance. Ce phénomène se produit naturellement, sans aucune intervention externe (William and al., 2002) et il est irréversible. C’est peut-être pour cette raison que les juments s’isolent légèrement de la harde lorsqu’elle pouline à l’état sauvage ; pour éviter toute interférence entre elle et son poulain lors de leur première rencontre. Cette étape est critique pour la survie du poulain puisqu’il a besoin de sa mère pour le protéger et le nourrir, mais également parce qu’il a besoin d’elle pour apprendre à vivre comme un cheval. Le poulain apprendra tout ce qu’il doit savoir auprès de sa mère ; quelles plantes sont toxiques, comment communiquer avec les autres chevaux, comment se toiletter mutuellement, etc. (Price, 1999). Si un poulain ne s’imprègne pas de sa mère, cela pourrait lui poser problème en grandissant, encore plus s’il serait un poulain sauvage, puisqu’il risquerait de ne simplement jamais avoir le temps de vieillir.



Les techniques de travail imprégnatoire
Avec la découverte de cette période critique chez le poulain nouveau-né, les entraineurs ont découvert que cela pourrait permettre de modeler le comportement du poulain très tôt dans son développement (Miller, 2001). Sachant cela, certaines personnes ont commencés a entrainer leur poulain dans cette période, utilisant plusieurs techniques pour réussir a avoir le comportement qu’il désirait. Ce type d’entrainement est acclamé pour produire de meilleurs chevaux qui seront moins réactifs aux divers stimuli de la vie et qui seront plus facile à dresser plus tard (William and al. 2002).
Le travail d’imprégnation n’est pas une « nouveauté » (Comme à peu près tout le travail dit « éthologique »), mais le Dr. Robert Miller à remis ces techniques en avant plan et les a popularisé à nouveau. C’est son approche qui est probablement la plus connu, aimé ou critiqué de nos jours. Dans sa méthode, l’entrainement commence dès que le poulain est sortie de sa mère, en le frottant partout ; dans la bouche, les oreilles, tout le corps, etc. Cela est fait en utilisant des stimuli qu’il rencontrera plus tard dans sa vie ; tondeuse, sac de plastique, taper sur ses sabots (maréchal ferrant), tapis de selle, etc. Dans sa technique, c’est même l’entraineur qui décide quand le poulain aura le droit de se lever (Miller website, 2013). Selon la procédure, une personne doit tenir et rassurer la mère, pendant qu’une seconde retient le poulain et qu’une troisième fait les manipulations sur lui. Cet entrainement doit être fait tout juste après la naissance puis répété à 12, 24 et 48 heures de vie pour être efficace selon le Dr. Miller. Il affirme que cela rendra le poulain plus soumis, plus sensible à la pression, plus désensibilisé aux stimuli externe et que cela va améliorer le lien entre l’entraineur et le poulain (Miler website, 2013)

Certains entraineurs sont plus discrets pendant cette période, en étant simplement près du poulain, voulant simplement familiariser le poulain à l’humain. L’accoutumance est un procédé selon lequel une exposition graduelle à un stimulus réduit la réaction du cheval à ce dernier (McGreevy, 2012). Plusieurs éleveurs le font tous les jours sans même le savoir, en venant manipuler le poulains pour s’assurer qu’il est en santé et en observant ses premières heures de vie pour s’assurer que tout va bien et que le déroulement normal des choses se produit. Lorsqu’un éleveur veut vraiment « imprégner » un poulain, il commence par manipuler la mère près du poulain. Si la mère est calme, le poulain apprend à être détendu à l’approche des humains (McGreevy, 2012). Dans ce type de méthode, le poulain apprend en observant l’humain interagir avec sa mère et, par curiosité, viendra découvrir ce que la personne est en train de faire. Cette dernière pourra alors présenter des objets au poulain, qui sera libre de se retirer s’il en a peur et sans toutefois être éloigné de sa mère.



Quels sont les bénéfices et les points négatifs de l’imprégnation
Parlons des bénéfices ; être présent tôt dans la vie d’un poulain rendra la présence humaine plus normale et moins stressante pour lui. Si l’humain est présent dans la période d’imprégnation, il deviendra un élément normal dans la vie du poulain, parce qu’il aura toujours fait partie de son environnement. Il comprend donc que ce n’est pas une menace pour lui. Si le poulain découvre l’humain plus tard dans sa vie, il deviendra une nouveauté qui aura besoin d’une désensibilisation progressive. Donc si l’humain est présent au moment de la naissance, il devient une partie de l’environnement normal du poulain ce qui facilitera la relation humain-poulain.



Du côté plus négatif, une imprégnation invasive peut interférer avec la relation encore fragile entre la mère et son poulain, ce qui peut être dangereux pour ce jeune équidé et peut même mener à des problèmes de comportement (McGreevy, 2012). La jument joue un rôle extrêmement important dans la socialisation et l’apprentissage du poulain nouveau-né. C’est elle qui lui apprendra les manières ainsi que les bonnes réponses aux signaux et aux menaces des autres chevaux. Ceci veut également dire que si le lien mère-poulain est compromis, le poulain pourrait être plus agressif  envers les autres chevaux (puisqu’il ne comprendra pas leurs signaux) ou alors il pourrait être trop « amie » avec son meneur et devenir trop amicale avec lui, jouant avec lui comme avec un autre cheval, ce qui pourrait devenir très dangereux (McGreevy, 2012). Cela pouvant aller jusqu’à de l’agression envers les humains, puisqu’il n’aura pas appris les limites du « jeu ». Comme discuté dans les sections de l’imprégnation, un poulain n’ayant pas été imprégné avec sa mère pourrait manquer de certains apprentissages vitaux tels que ; la sélection des plantes (celles a évités par exemple) en autre.

Des techniques telles que « L’inondation » (Flooding en anglais) sont également utilisées avec certaines méthodes d’imprégnation. Cette approche consiste à surexposer le poulain à un objet potentiellement effrayant ou a un stimulus désagréable jusqu’à ce que sa réaction disparaisse (McGreevy, 2002). Il est littéralement envahi par le stimulus sans pouvoir y échapper, la stimulation va cesser seulement lorsque le poulain arrêtera d’y réagir. L’inondation est une forme de désensibilisation, mais plutôt que d’être progressive, elle « inonde » le poulain avec le stimulus. Il est simplement présenté sans préambule et à sa « force » maximale. Par exemple, plutôt que de présenter une bâche au poulain, de le laisser la renifler et écouter le son qu’elle fait, le poulain sera simplement recouvert avec la bâche jusqu’à ce qu’il arrête d’y réagir, ensuite elle pourra être retiré, mais pas avant, peu importe a quel point il se débattra.



Les poulains ayant été exposés à cette méthode peuvent développer ce qu’on appelle de l’impuissance acquise (learned helplessness) très tôt dans leur développement. L’impuissance acquise se produit lorsque le poulain comprend que rien de ce qu’il peut faire ne pourra l’aider à éviter le stimulus désagréable, qu’il n’a aucun contrôle sur son environnement et qu’il ne lui reste qu’à ne plus rien essayer et à ne plus réagir à rien (Hall an al. 2007).  Rien ne peu plus l’aider, il va simplement se figer plutôt que d’essayer de s’échapper. Le poulain aura l’air calme et le stimulus sera donc retiré. Avec l’impuissance acquise, le poulain ne comprend pas qu’il n’y a aucun danger, il comprend simplement que rien ne pourra l’aider à éviter le stimulus, sauf de rester là sans bouger et attendre qu’il soit retiré (même si intérieurement, il sera très stressé et anxieux).

Une étude a démontré que l’effet de l’entrainement avant le sevrage n’est pas permanent, il est sujet à disparaitre. Ce qui veut dire que si le comportement n’est plus renforcé et travaillé, il peut cesser. Cette étude a démontré que l’entrainement d’un poulain avant le sevrage ne donne pas de meilleur résultat face à un poulain non manipulé (Willian and al. 2002). Cette étude prend en compte le rythme cardiaque (indicateur de stress) lors des tests ainsi que le temps qu’il faut au poulain pour accomplir la tâche qui lui est demandée. Si un poulain manipulé avant le sevrage était plus calme ou apprenait plus facilement qu’un poulain non manipulé, son rythme cardiaque ou son temps de complétion serait inférieur. Les résultats n’avaient présenté aucune différence significative entre les deux groupes.



Discussion
Les cavaliers et entraineurs devraient être très prudent lorsqu’il quand il est question de travail d’imprégnation ; il ne faut pas interférer avec le lien jument-poulain. Les techniques qui consiste à être le premier à toucher au poulain peuvent compromettre gravement ce lien encore très fragile entre la mère et son poulain nouveau-né. Les manipulations effectuées avec ces techniques doivent être répétés plusieurs fois pendant la période critique d’imprégnation. Cela peut sembler banale, mais le lien entre la mère et son poulain est « solide » de quelques heures seulement, il est encore très fragile à ce stade. Si le lien est compromis et que l’attachement du poulain à sa mère n’est pas assez solide, les conséquences qui en résulteraient pourraient être désastreuses, non seulement pour la survie du poulain mais aussi pour son comportement futur (McGreevy, 2012), puisque c’est la jument qui donnera les meilleurs enseignements à son poulain.

Une autre préoccupation pourrait être la façon dont le travail d’imprégnation sera fait. La technique Miller, par exemple, a des horaires d’entrainement et une structure très précise qui doivent être suivi à la lettre, sans quoi le succès de l’entrainement pourrait être grandement compromis. Si les étapes sont effectuées trop rapidement, elles peuvent stresser le poulain au point où rien ne sera appris, puisque le stress réduit les capacités d’apprentissages (Nicol C.J, 2012). Le manipulateur pourraient également sauter des étapes ou encore les effectués de la mauvaise manière. Il y a également un risque de mauvais timing lors du retrait des stimuli ce qui pourrait récompenser le poulain pour le mauvais comportement, ce qui serait plutôt contreproductif. Donc si les lignes directrices de la méthode ne sont pas respecté à a lettre, il y a de grandes chances pour qu’au final, ça ne fonctionne pas, ou pire, que ça cause plus de tort que de bien.

Une étude a démontré que les jeunes chevaux de 2 ans qui n’ont pas été manipulé ou qui ont été manipulé plus tard dans leur vie sont moins performant dans leurs apprentissages que les poulains ayant été manipulé plus tôt dans leur développement et  depuis plus longtemps (entrainé entre 6 mois à 2 ans) (Heird et al, 1986). Ceci dit, « tôt » s’est produit à partir de 6 mois lors de l’étude, ce qui coïncide avec le sevrage chez la plupart des poulains. D’autres études mentionné précédemment ont trouvé qu’il n’y avait pas de différence réel entre les poulains manipulés avant le sevrage et ceux manipulés après lors des tests d’apprentissage. Il n’y a donc aucune hâte et même pas de réel bénéfice à commencé l’entrainement d’un poulain très jeune (avant le sevrage). Les entraineurs qui font le travail d’imprégnation disent que ce travail rend les chevaux plus calmes et en font de meilleurs élèves, mais ces études ont démontrés le contraire.



La période d’imprégnation est vraiment courte chez le cheval et il y a une différence entre entrainer un jeune poulain et le travail d’imprégnation. Pour être appelé « imprégnation », cela doit se produire dans les deux premiers jours de vie d’un poulain. Une hypothèse est qu’un poulain qui est entrainé en imprégnation continue d’être entrainé par la suite jusqu’au moment du débourrage. Cela peut signifier que ce n’est pas le travail fait pendant la période d’imprégnation qui rend le cheval plus calme, mais le fait qu’il continue d’être entrainé de façon régulière et présenté à de nouveaux stimulus par la suite. Ce serait donc ce travail constant qui ferait que le travail effectué est retenue. Les études présentées plus hauts tendent à appuyer cette hypothèse. Il n’y aurait donc pas de réel avantage à travailler un poulain en « imprégnation », mais il y aurait plus d’avantage à travailler le poulain de façon progressive et constante lors de son développement, sans toutefois avoir besoin de commencer ce travail alors qu’il est encore un nouveau-né.



Conclusion
Être présent dans les premières minutes de vie d’un poulain est une bonne chose, parce que l’éleveur  doit s’assurer de la bonne santé du poulain, surveiller qu’il commence à se nourrir correctement, que la mère ne le rejette pas, qu’il évacue bien le méconium et ainsi de suite. Il doit aussi s’assurer que la jument se porte bien qu’elle expulse bien le placenta et qu’elle n’a aucune complication post-partum. Mais l’imprégnation devrait être laissée à la mère et nous ne devrions pas interférer dans ce processus, puisque plusieurs études ont démontré que ce n’était pas nécessaire pour avoir un meilleur poulain et qu’il est trop facile de le faire de la mauvaise façon.  Ces mêmes études ont démontré que les poulains ayant commencé leur entrainement après le sevrage ne sont pas moins performants dans leur apprentissage que les poulains ayant été imprégnés. Laissons la jument se lier à son poulain et lui apprendre tout ce qu’il a besoin de savoir pour vivre. Bien entendu, les gens doivent être présents dans l’environnement du poulain, ils doivent simplement s’assurer de ne pas interférer entre eux et d’éviter de les stresser pendant ces heures critiques. En prenant soin de la jument, le poulain sera naturellement curieux de venir voir ce qui se passe, l’éleveur pourra alors lui présenter ces outils et commencer à le désensibiliser doucement sans interférer dans la relation entre lui et sa mère, et ce, sans le retenir ou le forcer. En gardant le poulain auprès de sa mère, il y a moins de chance de faire obstacle à leur relation. De plus, sa présence peut aider à calmer le poulain. D’ailleurs, si la jument est proche de l’humain, le poulain apprendra aussi que l’humain n’est pas une menace et qu’il peut même être agréable d’être auprès de lui. Donc être présent auprès du poulain sans toutefois prendre la place de la mère en le faisant s’imprégner de nous plutôt que d’elle est une solution plus efficace et moins inquisitrice qui se veut tout aussi efficace, voire plus efficace.



Reference
         McGreevy, Paul, Equine behavior a guide for veterinarians and equine scientists, second edition, saunders Elsevier, 2012
         Miller, Robert, Fallacious studies of foal imprinting training, journal of equine veterinary science, volume 21, number 3, 2001
         William, J.L, Friend, T.H, Toscano, M.J, Collins, M.N, Sisto-Burt, A, Nevill, C.H , the effects of early training sessions on the reactions of foals at 1,2, and 3 months of age, department of animal science, texas A & M university, 2002
         Herd, J.C, Whitaker, D.D, Bell, R.W, Ramsey, C.B, Lockey, C.E, The effect of handling at different ages on the subsequent learning ability of 2-year-old horse, application animal behavior science 15, 1986.
         Miller, Robert, improper imprinting,http://www.robertmmiller.com/imim.html, 2013
         Price, Edward O., behavioral development in animals undergoing domestications,  applied animal behavioral science, department of animal science, university of California, 1999, Elsevier science B.V.

         Nicol C.J, equine learning: progress and suggestions for future research, department of clinical veterinary science, university of Bristol, Langford, UK. Elsevier science, 2002, P 204.

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